Article initialement publié le 25/11/2015
La compensation du co2 du bois qui brûle est une façon de compter qui m’a toujours dérangé. Je voudrais plaider pour la remise en question de ce mode de calcul, parce que, associé à d’autres arguments qui parent le bois énergie de toutes les vertus, il favorise l’apparition de nouveaux outils utilisant du bois : les centrales électriques à bois et les chaudières à pellets. Et ces machines font tranquillement changer la dimension de l’utilisation du bois énergie : de « locale et ponctuelle » elle devient « industrielle ».
J’ai donc du mal à partager l’optimisme ambiant sur la capacité de la forêt à assumer cette nouvelle charge, sachant que ce n’est pas la seule charge qui menace la forêt.
Dans un premier temps, voici un condensé des idées de base, que je reprendrai en les explicitant :
– Le bois est un combustible carboné comme les fossiles et il émet deux fois plus de co2 que le fioul et une fois et demi plus que le charbon à énergie produite égale.
– Dans l’atmosphère toutes les origines de co2 se mélangent, et un arbre ne choisit pas l’origine du co2 qu’il consomme. Est-il légitime de dire que la croissance de la forêt compense les émissions du bois énergie alors que dans les faits la forêt compense n’importe quelle combustion, y compris celle des fossiles ? Le bois n’est qu’un combustible comme les autres, le co2 de ses émissions se rajoute au co2 global et la forêt et les autres puits de carbone absorbent une partie de ce co2 global.
– Le co2 est global, le carbone est local : un arbre stocke du carbone là où il pousse, pas de compensation possible entre voisins. Lorsque l’on brûle un arbre cinquantenaire, il faudra invariablement de l’ordre de cinquante ans pour que le ou les successeurs sur son emplacement rétablissent le stock de carbone, c’est à dire qu’ils consomment une quantité de co2 équivalente à celle libérée. C’est incomparablement plus court que pour le charbon, mais c’est loin d’être immédiat et en tous cas c’est bien après les échéances de limitation d’émissions que nous fixons aujourd’hui. Et du co2 aurait quand même été séquestré si le bois n’avait pas été brûlé.
– Le bois d’œuvre reste stock de carbone, avec les dérivés du bois tout arbre et toute partie d’arbre est utilisable en bois d’œuvre, et avec l’arrêt des fossiles le bois deviendra le matériau de construction privilégié : ce besoin futur devrait s’anticiper aujourd’hui.
– La forêt française est aujourd’hui épargnée surtout parce que nos importations de bois d’œuvre externalisent une bonne partie de son exploitation et que nos importations de nourriture, en particulier aliments du bétail, externalisent la concurrence des terres agricoles donc la déforestation. Est-il légitime de la considérer comme un cas isolé ? La forêt au niveau global n’est pas plus renouvelable que le charbon au rythme actuel de son exploitation et de la déforestation.
Ayant parlé d’arguments qui parent le bois énergie de toutes les vertus, je vais organiser mes explications autour d’un passage en revue de ces arguments :
« le bois est renouvelable » :
Il me semble important de rappeler que le bois est une énergie de stock. À utiliser renouvelable systématiquement, beaucoup de personnes finissent par le percevoir comme un flux. Stock ou flux, c’est plutôt simple à définir : un stock on peut en faire un tas. Le soleil, le vent, ce sont des flux : instantanés, non stockables et non surexploitables. Pour de l’eau, c’est moins évident : un cours d’eau c’est un flux, un barrage c’est un stock.
Et les énergies de stock se renouvellent aussi. Y compris les énergies fossiles ! (excepté le nucléaire, l’uranium étant un minerai qui ne se renouvelle pas) La durée du cycle des fossiles est à l’échelle géologique, sur plusieurs millions d’années, ces fossiles étant une fraction infime de la biomasse qui suit un séjour dans les entrailles de la croûte terrestre. Et qui finit par s’y accumuler en grande quantité. On peut donc considérer que, chaque année, la nature fournit un quota de pétrole, de gaz et de charbon !
Tout ça pour dire que ce qui définit si c’est renouvelable ou pas, ce n’est pas le temps que cela prend pour faire un arbre, du charbon, du pétrole. C’est renouvelable que dans la mesure où on ne prélève pas plus que la capacité de renouvellement. Au delà, on déstocke. Ainsi les fossiles pourraient être renouvelables si l’on ne dépassait pas leur quota annuel… ce qui n’est pas vraiment le cas.
Et pour le bois, c’est sans appel : selon la FAO, la forêt mondiale perd 13 millions d’ha par an, quasiment l’équivalent de la forêt française ! (15,6 millions d’ha). À ce train là, la forêt mondiale (4 milliards d’ha) est condamnée à terme d’environ 300 ans, soit une échéance comparable à celle du charbon (200 ans), sachant que cette cadence à toutes les « chances » de s’accélérer, puisque la pénurie des fossiles va accentuer le report sur cette ressource facile d’accès. Au sens strict du terme, aujourd’hui, le bois n’est pas plus renouvelable que le charbon. Et il ne devrait donc plus avoir le label de « renouvelable » depuis bien longtemps, ce qui éviterait d’entretenir la confusion avec « inépuisable ».
« Le bois énergie est neutre en co2 » :
Dans les calculs comparant les émissions co2 des différentes sources d’énergie, le bois et la biomasse affichent généralement des valeurs très faibles car ce sont des chiffres « compensés ». Un calcul simple permet de comparer les quantités réelles de co2 libérées par un combustible, à partir de chiffres que l’on connaît bien et que l’on ne discute plus depuis bien longtemps : la teneur en carbone de la matière et son pouvoir calorifique, puisque pendant la combustion le carbone de la matière s’associe à l’oxygène de l’air, en libérant de l’énergie.
Le bois est composé de 50% de carbone, et la combustion d’un kilo de bois libère en moyenne 3,5 kWh, (bois « sec » de deux ans, à 15 % d’humidité, une partie de l’énergie totale a servi à évaporer cette humidité). Cela fait 142 g de carbone libéré pour 1 kWh émis (500g /3,5 kWh), soit 521 g de co2/kWh (3,67 fois plus en g co2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bois
Avec le bois vert, c’est pire : il y a plus d’humidité à évaporer. Le pouvoir calorifique est même divisé par plus de 2 pour le bois vert ! ( http://www.acqualys.fr/page/tableau-comparatif-pouvoir-calorique-inferieur-pci-des-energies )
Et pour les centrales électriques à bois, on attend rarement deux ans de séchage… le bois vert est déchiqueté puis déshydraté, à grand renfort d’énergie grise. « grise », ou plutôt « transparente » : cette énergie ne se voit pas, et, comme dit le dicton, ni vu ni connu.
Le charbon est composé (en moyenne) de 80 % de carbone, et la combustion d’un kilo de charbon libère 8,3 kWh (30MJ), soit 96 g de carbone pour 1 kWh et 353 g de co2/kWh. https://fr.wikipedia.org/wiki/Charbon
le fioul : 86 % de carbone, 12 kWh/kg. Soit 72 g de carbone et 264 g de co2/kWh. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fioul
Donc, la combustion du bois libère au moins 2 fois plus de co2 que le fioul et 1,5 fois plus que le charbon à énergie égale. Et ce résultat est parfaitement logique : les fossiles sont des dérivés de matière organique (le charbon est essentiellement dérivé de matière organique végétale) qui ont subi une « densification énergétique » dans leur processus de transformation.
Une exonération à ce niveau, ce serait plutôt un paradis fiscal : là où ceux qui en ont le plus rendent le moins de comptes.
Voici les arguments couramment avancés pour justifier cette singulière minimisation du co2, avec mes réponses.
— « la croissance des arbres compense le co2 de ceux qui sont brûlés »
Dans l’atmosphère toutes les origines de co2 se mélangent, et un arbre ne choisit pas l’origine du co2 qu’il consomme. Dans les faits, le co2 de la combustion du bois se rajoute au co2 global et la forêt et les autres puits de carbone absorbent une partie de ce co2 global.
Dans ce contexte, affecter la captation de co2 des arbres à la compensation des émissions des copains pourrait bien être de l’ordre du favoritisme.
Sur la base de ce constat du co2 « mélangé », il apparaît que d’un point de vue « émissions de co2 », il est plus judicieux (ou moins absurde) de brûler des fossiles que du bois : la quantité globale de co2 émise est moindre pour la même énergie produite, et le travail d’absorption du co2 par la forêt n’en est que plus efficace.
Le co2 atmosphérique augmente parce que la quantité de carbone stocké sur terre diminue. De la même façon, que ce carbone soit stocké dans les arbres ou dans les fossiles, il est stocké. Ce qui est important aujourd’hui pour limiter l’élévation du taux de co2, c’est de laisser ce carbone stocké autant que possible.
L’absorption du co2 par les végétaux peut se concevoir comme un flux global, du fait que le co2 se dissipe dans l’atmosphère. Pour le carbone stocké, de l’autre côté de la barrière, cela n’est plus possible : un arbre stocke du carbone là où il pousse, pas de compensation possible entre voisins.
Ainsi là ou avec le co2 on était tenté de voir une compensation immédiate, côté carbone il apparaît qu’il y a au minimum une notion de déphasage : Lorsque l’on brûle un arbre cinquantenaire, il faudra invariablement de l’ordre de cinquante ans pour que le ou les successeurs sur son emplacement rétablissent le stock de carbone, c’est à dire qu’ils consomment une quantité de co2 équivalente à celle libérée. C’est incomparablement plus court que pour le charbon, mais c’est loin d’être immédiat : déjà ce « temps de retour » fait que l’effet co2 atmosphérique n’est pas nul.
Dans les autres cas de figure où le bois n’aurait pas été brûlé, soit pas d’exploitation du tout, soit exploitation pour le bois d’œuvre, il y aurait eu une « séquestration positive », et non une « séquestration de rattrapage ». C’est donc plus qu’une perte de temps, c’est un manque à gagner co2 que ce bois énergie à généré.
« oui mais, cinquante ans après, c’est rattrapé » je vous entends dire (et merci pour votre remarque). Eh bien non. Je vais prendre un exemple pour lequel les théories de compensation sont nettement mois tentantes : la feuille de paye. Vous gagnez 1000 euros par mois, et l’augmentation annuelle est de 100 euros. Votre patron vous dit : cette année, pas d’augmentation. Toujours 1000 euros de salaire l’année n+1, et, enfin, 1100 euros l’année n+2. C’est compensé ? Non, parce que sinon vous auriez eu 1200 euros. Ce déficit, il se reportera d’année en année et vous aurez 100 euros par mois en moins toute votre vie (et même à la retraite, puisque cela influera sur son calcul…).
Je vais même un peu plus loin. Votre chaudière à bois, elle ne va pas brûler du bois (c’est à dire annuler l’augmentation du carbone stocké, vous aviez compris la similitude avec le salaire), une seule fois, puis attendre que ce soit compensé. Chaque année, à vie, elle va recommencer sa besogne.
Donc, cela revient à bloquer, à vie, votre augmentation de salaire.
Neutre, ou neutralise ?
— « une forêt ancienne ne stocke plus, en l’exploitant elle recommence à stocker »
Un arbre vivant séquestre du co2, le bois mort en décomposition le restitue. Pour que le bilan s’équilibre, il faut que le bois mort s’accumule.
La forêt française est exploitée de longue date et la quantité de bois mort y est plus proche de la pénurie que de l’excès. Elle est très loin de cet état d’équilibre.
Pour qu’une forêt arrive à ce stade de neutralité de bilan co2, il faut que les arbres aient le temps de pousser, de mourir, puis d’avancer dans leur décomposition. Il faut donc, selon la longévité des espèces présentes, rarement moins d’un siècle sans exploitation et parfois plusieurs.
La forêt n’est pas un réservoir de stockage idéal, il a sa limite de capacité. Est-ce une raison pour le vider ? Je le rappelle encore, tout carbone stocké sur terre, c’est autant de co2 en moins dans l’atmosphère. Que le bois soit mort ou vivant, cela reste un stock de carbone. Le bois mort est un stock à durée limitée, mais perpétuellement renouvelé… si rien n’est exploité.
— « un arbre à maturité ne stocke plus de co2 »
Ce qu’il faut aussi savoir, comme l’explique remarquablement le botaniste Francis Hallé, c’est qu’un grand arbre est aussi en pleine puissance pour capter les polluants atmosphériques, y compris le co2. Ce qui s’explique par l’importance de la surface développée de ses feuilles et racines, sans comparaison avec celle d’un jeune arbre. L’age auquel l’arbre ne stocke plus est donc très proche de la fin de vie. Dans la forêt de Tronçais, cette maturité est jugée par parcelle et on essaie de s’en approcher au plus près : les coupes des chênes s’y font vers 250 à 300 ans d’âge…
— « avec la décomposition, le bois serait retourné co2 »
Très tentant cet argument. Le bois se décomposera, en effet, mais dans un long cycle d’une durée comparable à celle de sa croissance. En le brûlant on remet immédiatement dans l’atmosphère du carbone qui serait resté stocké sur du long terme. Pour les mêmes raisons que le déphasage avec la croissance, ce déphasage avec la décomposition n’est pas neutre.
D’ailleurs, un compte en banque fonctionne à peu près comme une forêt : il y a un flux entrant, enfin je l’espère pour vous, et un flux sortant. Fatalement, l’argent qui rentre sortira un jour, tôt ou tard et plutôt trop tôt. Finalement, ce bois énergie nous annonce une bonne nouvelle : nous pourrions dépenser notre argent prématurément sans effet sur le stock.
Pour une fraction de ce bois, l’étape ultime de cette décomposition est, après compostage, l’intégration à la matière organique du sol. C’est à dire du très long terme. Et les arbres sont généralement coupés bien avant leur fin de vie : ils auraient eu encore quelques décennies de stockage devant eux avant de commencer leur cycle de décomposition.
Même la biomasse « à court terme », par exemple les déchets organiques urbains, ne devrait pas être compensée. Cette biomasse peut être valorisée dans un cycle long de carbone : le compostage et la méthanisation permettent d’obtenir respectivement compost et digestat, qui sont valorisables à long terme dans le sol.
La réflexion sur une éventuelle compensation des déchets à court terme soulève aussi un questionnement général d’ordre éthique : n’y a t-il pas, dans cette recherche de compensation co2, une forme de déni de l’empreinte écologique de nos activités ?
Viennent ensuite les arguments plutôt en faveur du potentiel de la forêt :
— « la forêt française a doublé en 150 ans » :
Fortuitement, 150 ans correspond au moment où la forêt était au plus bas. Elle était prise entre deux maux : elle fournissait au 18e siècle l’énergie des machines à vapeur de l’ère pré-industrielle, et les surfaces agricoles ne cessaient de se développer. Et pourquoi elle a doublé ? Parce qu’avec l’arrivée des fossiles elle a eu une baisse de la pression d’exploitation, (voire une stabilisation de cette pression selon les sources) et parallèlement, l’intensification de l’agriculture a réduit la concurrence des terres agricoles. Ce qui a permis à la forêt de se requinquer partiellement. Aujourd’hui, cette réduction des surfaces agricoles se poursuit, puisque nous importons davantage notre nourriture, mondialisation oblige. Le phénomène est contrebalancé par un autre mal moderne : l’artificialisation des terres. De sorte que, selon les sources là aussi, la surface de la forêt française aujourd’hui n’augmente plus. Aujourd’hui, cette forêt c’est 28 % de la superficie du pays, et elle est déjà exploitée à 50/60 %. Cette situation de répit de la forêt est pourtant bien artificielle, car depuis deux siècles les menaces d’exploitation ont changé de dimension : les besoins en énergie ont explosé, la population a doublé et la consommation de viande, très demandeuse de surfaces agricoles, a fortement augmenté. Ainsi cet historique devrait, en toute sagesse, nous rappeler à la prudence parce que nos aïeux ont déjà pu mettre à mal la forêt dans un contexte nettement moins critique. Au lieu de ça, Il est utilisé dans une habile tournure de phrase pour dire : « la forêt va très bien, on peut couper ».
— « Le bois c’est local » :
Bel optimisme de penser que la forêt française échappe à la mondialisation. Ceci dit ce n’est pas le cas et pour l’instant la mondialisation protège la forêt française. Notre bois d’œuvre vient pour beaucoup d’Europe de l’est et des forêts tropicales, et, comme vu plus haut, l’agriculture française est concurrencée par l’étranger et les surfaces agricoles diminuent. En même temps, au niveau mondial, la forêt régresse inexorablement au profit de besoins de surfaces agricoles en perpétuelle augmentation. Et avec des perspectives d’accentuation du phénomène.
L’analyse du potentiel de la forêt française est faite sur des données franco-françaises, dans un contexte mondial qui est complètement opposé. Combien de temps nos frontières vont protéger notre forêt de ce contexte mondial ?
Notre forêt fait aussi partie de la forêt mondiale, est il légitime de la traiter comme un cas à part quand ça nous arrange ?
Et même si cette situation perdurait, une autre épée de Damoclès, bien pire, plane sur la forêt : avec l’arrêt des fossiles, tout devra être « biosourcé » et donc on aura encore besoin de nouvelles cultures qui devront être dédiées à produire nos plastiques, nos tissus, nos objets de consommation, nos matériaux de construction. Sans oublier qu’il faudra aussi nourrir toujours plus de monde. Et c’est toujours la forêt qui trinque : besoin de bois d’œuvre, de bois énergie ? C’est pris directement la forêt. Besoin de place pour de nouvelles cultures, pour de l’artificialisation ? c’est pris aussi sur la forêt, à travers la déforestation.
— « Tout l’arbre ne peut être valorisé en bois d’œuvre » :
En théorie, un arbre a plusieurs usages en fonction de la taille de ses rameaux. Pour une fois, la règle du porte monnaie va dans le bon sens et ce qui peut être utilisé pour des planches dans un arbre a des chances de l’être, vu que c’est mieux payé. Ceci dit, ceux qui se chauffent au bois ont pu remarquer à la taille des bûches que les extrémités descendent souvent assez bas : il y a quand même un décalage entre la théorie et la pratique. Dans l’exploitation industrielle, la mécanisation amène une grosse dérive : ce sont les grumes (les troncs dans lesquels on peut faire des planches) qui sont exploités pour l’énergie, les rameaux étant laissés sur place : exactement à l’opposé de la théorie !
Et même si cette théorie était respectée, je ne suis pas d’accord sur le fait que les extrémités ne pourraient finir que dans une chaudière.
Avec le lamellé collé, qui utilise de toutes petites sections de bois, on obtient des poutres de toutes tailles qui ont des qualités mécaniques supérieures au bois brut. Et dans un contreplaqué, plus les plis sont fins, meilleure est la résistance !
Mais surtout, aujourd’hui on sait faire du bois d’œuvre avec des copeaux. L’osb, avec des gros copeaux de bois déchiqueté, fait des panneaux de bonne qualité structurelle pouvant faire des parois à des maisons à ossature bois , tout en contribuant à la résistance et en protégeant de la pluie. L’aggloméré, que tout le monde connaît, a révolutionné l’ameublement. Et il permet de recycler toutes formes de bois. Plus récemment, on a appris à faire de la laine de bois, un remarquable isolant. Et avec la trituration, procédé utilisé pour la pâte à papier, on peut tirer de la cellulose de la moindre brindille , cellulose qui peut servir de base pour les colles de certains de ces dérivés du bois.
Bref (là c’est le bricoleur qui parle) : le bois est un matériau fantastique, capable de quasiment tout faire, conciliant beauté, résistance, légèreté.
Le bois est bien plus précieux qu’un simple combustible, et il me semble aussi déplacé de le mettre dans une chaudière que de mettre de l’électricité dans un convecteur.
Et le bois d’œuvre a une qualité supplémentaire sur laquelle il n’y a aucune ambiguïté de calcul : il garde le carbone soigneusement stocké.
D’un côté, avec le bois énergie, le co2 est libéré dans l’atmosphère ; de l’autre, le même bois utilisé en bois d’œuvre garde ses qualités de stock de carbone. Rien que pour cette propriété, le bois ne devrait être exploité que pour le bois d’œuvre. Ce ne serait pas plus compliqué que ça de réduire le co2 atmosphérique, et en plus on risque de bien en avoir besoin de ce bois d’œuvre quand il faudra se passer de béton, de brique, d’acier… tous ces matériaux de construction traditionnels qui ont en commun d’être très « fossilivores », parce qu’ils demandent des cuissons à des très hautes températures, de plus de mille degrés.
— « Une forêt bien gérée se renouvelle » :
Certes, selon l’ardeur de la tronçonneuse, la forêt se remet plus ou moins bien. La façon dont on coupe est importante, vitale sous certains climats. Ceci dit cet argument laisse oublier que le tout premier des facteurs de renouvellement de la forêt, c’est le temps. Bien gérer une forêt est un luxe que l’on peut se permettre si la pression d’exploitation n’est pas trop grande. Et on ne peut l’apprécier qu’au niveau global. Pour être plus explicite, imaginez que vous n’avez que le bois de votre jardin pour vous chauffer : il devient évident qu’il faut qu’il soit assez grand pour que les arbres aient le temps de repousser entre deux coupes.
La forêt mondiale est un jardin partagé, il est déjà trop petit pour nous tous.
Alors on fait quoi, on brûle du charbon ?
Celle là, je savais que vous alliez l’aimer : que vous ayez, comme moi, prôné la sortie du nucléaire ou bien prôné la persévérance dans cette énergie responsable, vous avez reconnu l’argument massue. Non, bien que j’aie argumenté que le charbon était moins émetteur de co2 que le bois, il n’y a toujours pas besoin d’aller jusque là. La réponse reste l’incontournable et maintenant classique logique Négawatt. Le scénario Négawatt fait appel au bois énergie dans des proportions très mesurées et calculées, sachant qu’il y a eu au préalable réduction des besoins. Aujourd’hui, nous faisons passer la charrue avant les bœufs : on convertit d’abord à l’énergie miracle qu’est le bois et on verra ensuite pour les économies.
— Je rajoute juste deux petits calculs de coin de bureau du genre de ceux qu’on devrait faire plus souvent :
Vous habitez dans 50m2, et vous consommez 4 stères de bois par an. À 500kg de bois sec par stère, cela vous fait deux tonnes de bois (vous avez un ascenseur, bien sûr). Ces deux tonnes correspondent à 36 m³ de laine de bois (à 55 kg/m³), qui répartis, sur les faces de l’habitation, représentent une épaisseur de… 20cm !
Évidemment que ce n’est pas si simple, mais n’est-ce pas absurde de se chauffer inlassablement avec une matière qui pourrait, en un an ou deux de consommation, rendre anecdotique cette dépense tout en rendant votre habitation bien plus confortable ?
Le pellet donne encore une autre dimension à cette gabegie : pour faire des pellets on réduit en sciure, déshydrate et comprime le bois dans une débauche d’énergie. Ce ne serait pas bien plus compliqué d’en faire de l’isolant !
Puisque j’en suis aux pellets, je vous invite à noter que la « débauche d’énergie » incluse dans la fabrication du pellet est soigneusement oubliée dans le calcul du rendement de la chaudière. Qui serait bien sûr bien moins glorieux avec un calcul objectif. L’atout officieux du pellet, il n’est pas dans le rendement, il est mécanique : il rend le bois « fluide comme du fioul » et le pellet circule par aspiration dans des tuyaux. Donc il peut permettre l’automatisation, la régulation, et supprimer les manutentions : la corvée du bois, quoi. C’est à dire qu’il supprime l’obstacle majeur au chauffage bois généralisé. Voici pourquoi je considère le pellet (et son cousin, le bois déchiqueté) comme une menace potentiellement importante pour la forêt.
La vraie solution chauffage, c’est l’isolation. La chaudière, c’est juste s’il reste des sous, et s’il est encore besoin de chauffer : oui, cela peut être facultatif.
Bref : penser le changement plutôt que changer le pansement. (Francis Blanche)
Bien sûr, si vous êtes locataire, vous n’avez pas cette marge de manœuvre (quoique…) mais vous pouvez donner à votre propriétaire l’argument qu’aujourd’hui tous les programmes immobiliers se vendent avec HQE ou BBC en première ligne des pubs. Ce ne sera pas de l’argent perdu pour lui. Et que de toutes façons ce sera prochainement obligatoire.
— Deuxième calcul, tout aussi simple et parlant :
L’énergie du soleil, c’est, en moyenne européenne, 100 litres de fioul/m²/an. (env 1000 kWh/m2/an) La production de bois de la forêt française, c’est 5,5 m³/ha/an ( http://inventaire-forestier.ign.fr/… ) soit 0,5 litres de bois m²/an, équivalent à 0,1 litres de fioul m²/an… c’est 1000 fois moins que le soleil direct au m2 ! à Montpellier, mon centre du monde, le soleil c’est 140 litres/m²/an, et la garrigue sèche environnante c’est 1m3 de bois /ha/an, soit 7700 fois moins… Se chauffer au bois, c’est donc prendre ses aises avec la nature, sachant qu’un panneau solaire thermique capte très bien cette chaleur, d’une façon très simple et avec un rendement souvent bien supérieur à celui d’un poêle. Mieux : une simple fenêtre au sud est le meilleur des capteurs de chauffage solaire !
Un panneau photovoltaïque ne capte « que » 15 % de cette énergie, mais la restitue sous la forme noble d’électricité. Pour produire cette électricité avec du bois, il faut de 400 à 600 fois plus de surface au sol qu’avec le soleil du midi, selon si l’on cogénère ou pas. 10 m² de cellules photovoltaïques produisent autant que 4000 à 6000 m² de forêt ! à ce tarif là, ce n’est même pas complètement absurde d’artificialiser les champs par des centrales photovoltaïques. Bon, ça le reste quand même, il y a déjà assez de surfaces artificialisées.
Dois-je préciser quelle énergie me semble sous exploitée ?
En complément : « menaces sur la forêt française », un reportage paru sur france 5 le 20 octobre 2015 qui montre que l’engouement actuel sur ce bois énergie « vert » n’est pas à prendre à la légère :