Je vous avais laissé au précédent épisode sur un dernier prototype qui se comportait enfin correctement, mais qui laissait entrevoir encore quelques soucis de rigidité et de fiabilité.
J’ai donc repris les dessins, à la traque des points faibles, pour faire une version « renforcée ». Et avec une autre évolution : ce coup ci il fallait en faire deux ! Mon ami Bernard attendait de longue date son exemplaire, avec pour but de se l’assembler tout seul.
Il fallait que l’engin soit suffisamment au point pour pouvoir être confié à quelqu’un d’autre, sans quoi l’expérience pouvait devenir un enchaînement de pépins. L’heure semblait arrivée, d’autant que je pensais avoir identifié mes problèmes et que la nouvelle version allait corriger tout ça.
En faire deux, cela supposait aussi réduire encore le nombre de ces petites pièces faites sur mesure « à la main » qui prennent un temps infini à faire, j’exagère à peine. Il fallait donc trouver des solutions qui utilisent des pièces génériques du commerce. Le chemin a été long mais intéressant et j’espère productif : c’était une étape indispensable pour rendre le projet économiquement viable s’il doit être reproduit.
Réception des pièces, comme d’habitude de la tôle découpée laser et pliée.
Sous vos yeux, pas loin de 400 pièces, soit 200 pour un seul tricycle. Et 80 modèles différents.
Ce coup-ci c’est l’entreprise de tôlerie qui a fait les pliages.
Ces pièces sont censées s’emboîter simplement les unes dans les autres, c’est un régal d’assemblage quand c’est le cas. Évidemment, il reste çà et là quelques erreurs de plans qui pimentent le montage.
Je passe sur le détail de la construction, je vous l’ai décrit pour les précédents protos. Une fois tout assemblé et soudé, c’est au tour de la peinture. Un antirouille blanc, et une couleur finale « qui se voit » !
Petit zoom sur la partie qui posait des soucis, dorénavant sérieusement renforcée.
Et nous voici enfin prêts au départ.
Les premiers essais ont été d’emblée satisfaisants, ce qui est logique puisqu’on reprend la même base qu’auparavant.
L’agréable « demi-surprise » tient dans le détail de la photo ci dessus : une rotule de direction à l’intérieur de laquelle on a glissé subrepticement des roulements, plus précisément une butée à billes et des douilles à aiguilles. Ces mots qui n’inspirent pas la délicatesse apportent en fait une grande douceur dans la commande de direction, en supprimant les frottements. Une rotule c’est bien pratique pour ces articulations qui se tortillent dans tous les sens, mais je m’étais rendu compte que si on appuie dessus, notre rotule ne tourne plus librement et je supputais que ça pouvait influencer la conduite.
Le résultat est spectaculaire, parce que la stabilité directionnelle est considérablement améliorée. Et ça, c’était un des soucis chroniques de l’engin. Moralité : un engin libre de pencher doit aussi être libre de tourner !
Évidemment, cette photo ne vous dit rien. Pourtant, c’est une autre évolution importante de cette version. Sur la précédente, j’avais recherché la stabilité directionnelle en augmentant l’angle de chasse. Cela avait des petits inconvénients, alors je suis revenu à l’angle « réduit » de 15°, simplement en changeant le trou d’ancrage du bras de suspension. Et, grâce à mes rotules dopées aux roulements, la stabilité directionnelle est restée impeccable, sans les inconvénients de l’angle de chasse prononcé.
Allez, encore une photo mystère, et néanmoins aussi à l’origine d’une évolution significative.
Ceci est le dispositif de réglage du parallélisme. Si la vis (au dessus) est parallèle à la cale en bois (au dessous) les roues sont parallèles. Donc ici on peut supposer que le parallélisme n’est pas bon.
Et pourtant si ! En fait quand je reculais les roues avant avaient tendance à « pincer » un peu comme des yeux qui louchent. Donc la marche arrière était interdite sous peine de tout tordre.
Avec ce réglage, les roues ont de « l’ouverture », c’est à dire l’inverse du pincement. Et ça recule parfaitement ! Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais vous répondre. Mais le résultat est là.
La marche arrière n’est pas indispensable : aucune moto n’en a. Par contre la possibilité d’assister son équilibre permet de gérer cette manœuvre bien pratique. C’était dommage de ne pas pouvoir en profiter, n’est-ce pas ?
Ainsi, ce sont simplement quelques réglages et des roulements dans les rotules de direction qui ont fini de solutionner les dernières lacunes sur lesquelles je butais depuis des années.
Me voici enfin rassuré, cet agencement particulier de châssis s’avère capable de fonctionner sans défaut majeur.
Dorénavant je peux annoncer que la partie « châssis » est enfin au point, au sens où l’engin est fiable et sain.
Fiable et sain, et néanmoins il reste un point que j’aimerais améliorer.
Avec cette photo de famille d’amortisseurs vous avez deviné que ce point est la suspension. Ce n’est pas un point faible de l’engin, bien au contraire : comme il peut s’incliner il est possible d’avoir une suspension souple à souhait qui avale confortablement 99 % des trous et des bosses. Le 1 % restant est un dur à cuire, c’est le ralentisseur dos d’âne. Sa fonction est autant de ralentir les voitures que de les inviter poliment à prendre les grandes routes. Cette fonction dissuasive est potentiellement une alliée de notre mobilité intermédiaire, en rendant nos routes favorites plus paisibles. Par contre il est essentiel pour la mobilité intermédiaire de pouvoir absorber ces dos d’âne sans douleur, parce qu’il nous est difficile d’y échapper par les grandes routes.
Certaines motos les avalent avec une facilité déconcertante, celles qui ont un grand débattement de suspension. J’ai prévu ça sur les plans, ce que j’ai moins prévu c’est que le débattement réel utile est parfois loin du débattement théorique. D’où tous ces essais d’amortisseurs.
En partant de la gauche, ce sont deux amortisseurs à air. Trop d’affaissement quand je m’assois, et le débattement n’est plus là.
À droite, un amortisseur à ressort, avec des essais de ressorts de duretés différentes. Il y a du mieux sur l’affaissement, mais ça talonne encore un peu vite.
Je pourrais me contenter du résultat, l’engin est déjà largement plus agile que les voitures sur ces dos d’âne. Mais j’ai quand même envie de tester quelques pistes d’amélioration. La suite au prochain épisode !
Voilà pour ce qui concerne le châssis. Par dessus notre mécanique, il y a une chose qui est tout aussi essentielle quand le but du jeu est de faire un pendulaire protégé : c’est d’arriver à faire une protection pluie qui protège vraiment. Ça semble tout bête, et pourtant c’est un casse tête tant les impératifs sont nombreux.
Par exemple, il n’est pas possible de fermer le dessous. Et croyez moi, sous la pluie il remonte autant d’eau par les roues qu’il n’en descend du ciel. Et il en remonte à des endroits où il n’est pas vraiment agréable d’en recevoir…
Doucement les garde boue se sont adaptés à juguler ces effusions aux multiples origines. Et aujourd’hui il est devenu un jeu de passer dans les flaques sans avoir à ralentir.
Pour l’eau qui vient d’en dessus, la difficulté est de pouvoir garder une bonne visibilité sans avoir d’essuie glace, et sans laisser passer l’eau bien sûr.
Pour cela le « chapeau dépliable » a été agrandi, et dépasse sur l’avant du saute-vent. Entre les deux on peut laisser une petite fenêtre qui permet de voir clairement la route. L’avancée du « chapeau » crée une chicane qui empêche les gouttes de passer. Seules quelques gouttelettes légères sont encore emportées par le flux d’air et sont sensibles sur le visage mais ne mouillent pas vraiment.
Ce qui complique cette stratégie anti gouttes, c’est que les yeux doivent être à la hauteur de la fenêtre, quelle que soit la taille de la personne qui conduit. Comme toute la partie avant est un capot qui peut basculer pour pouvoir entrer et sortir, il « suffit » de mettre un réglage pour arrêter le basculement de notre capot à la bonne hauteur.
Et notre protection pluie est totale.
Tout ça a pour mission d’être toujours là, de pouvoir s’installer rapidement parce quand il pleut le temps d’installation est vite perçu comme trop long, mais quand même de pouvoir être bien ouvert quand il fait beau.
L’ouverture se fait par étapes :
Ici le « chapeau » est replié et devient arceau. Le saute-vent est resté en place.
Pour le froid, cette position saute-vent est efficace pour le visage, sans faire de turbulences. C’est ma position favorite pour la majeure partie de l’année.
Le pédalage fait l’appoint de chauffage quand le froid devient sérieux. Mine de rien, la passivité sur les motos est un handicap dans le grand froid puisque le copieux « vent de la course » refroidit et que rien ne vient réchauffer, excepté le claquement de dents. Invariablement, le froid finit par transpercer.
Donc, tout en étant loin du confort douillet d’une voiture, même par temps froid cette protection associée à la possibilité de pédaler apporte une réelle amélioration aux rudes conditions des deux roues à moteur.
Et quand il fait beau et chaud, une partie du capot peut s’escamoter pour élargir notre ouverture. Ainsi on profite joyeusement du grand air sans risquer d’être démuni devant l’orage impromptu.
Après une dizaine d’années de réflexions et d’essais, cette couverture de bric et de broc réussit enfin aujourd’hui à remplir un cahier des charges bourré de contraintes. Parmi elles je n’ai pas cité la principale : réduire la prise au vent latéral, ennemi numéro un du pendulaire protégé.
Reste à travailler le dernier point, celui que vous me faites remarquer souvent et néanmoins avec beaucoup de délicatesse : faire une carrosserie un peu plus présentable…
Désolé de n’avoir pas soigné ce point qui semble essentiel dans notre monde où l’apparence est reine. Rassurez vous, c’est prévu, j’avais juste besoin de définir avant tout ce qu’il fallait pour avoir une protection aux petits oignons.
Décidément il n’y a jamais de quoi s’ennuyer avec ce projet.
Pendant ce temps au Mans, à des centaines de kilomètres du Montpellier natal du tricycle, Bernard à vaillamment mené à bien tout seul le montage de son exemplaire. Un travail de longue haleine, d’abord avec la foultitude de pièces à assembler pour le châssis, puis à souder, puis à peindre. Ensuite, il a fallu installer tous les périphériques : le moteur, la transmission, les freins, mais aussi l’éclairage, le siège et son habillage, la protection de la chaîne pour lui éviter d’être essuyée par le pantalon… Et dans cette deuxième étape il faut souvent avoir recours à adaptation et ajustage, puisque les composants standard ne sont pas toujours compatibles avec cet engin hors normes.
Il a opté pour une solution originale de transmission : le moteur pédalier est placé à l’arrière, sur le bras de suspension, avec un moyeu à vitesses dans la roue arrière. Le pédalier placé à gauche trahit cette originalité discrète. Cela optimise le travail de la chaîne entre moteur et roue, chaîne qui est la plus sollicitée, en lui conservant une tension et un alignement constants. Cela permet aussi de jouer sur la démultiplication pour optimiser le rendement du moteur en lui permettant de tourner plus vite tout en ayant une cadence de pédalage plus lente. Pour finir, cela limite les efforts sur la partie avant du châssis.
Puis, comme une évidence, est venue l’installation du panneau solaire.
Et nous terminerons cet épisode par ce salut amical de Bernard, avec un signe de la main qui, paraît-il, pourrait vouloir dire qu’il est satisfait de sa monture.