Ce projet est issu d’une étroite collaboration avec Gilles Guezou, virtuose de l’électronique qui, chance pour moi, s’est amusé dans la conception du joujou, ce qui m’a permis d’apprécier ses immenses et multiples compétences. Et je les ai d’autant plus appréciées qu’il me faut bien reconnaître que si je n’ai pas trop de souci à trouver de nouveaux projets, quand ça touche à l’électronique et à l’informatique je suis bien embarrassé pour les concrétiser.
Le problème est simple, les façons de le solutionner sont multiples et ce projet est passé par de nombreuses étapes dont je vous fais grâce.
L’option finale s’avère simple et efficace, avec des usages qui débordent largement du rôle initial de cumulus d’eau chaude. C’est une réserve de chaleur qui permet d’avoir toujours sous la main de l’eau à la parfaite température pour les boissons chaudes, un chauffe plat, et même un cuiseur ou un stérilisateur et tout ça avec une énergie qui ne me coûte pas un centime de plus.
Après vous avoir alléché .e.s par la conclusion, voici l’histoire.
Pour l’essentiel de ma production d’eau chaude sevrée des combustibles, j’ai des tubes sous vide qui fonctionnent à merveille…. 330 jours par an. Même avec ma volonté de fer pour sortir des combustibles, j’aimerais bien des fois pouvoir me faire un brin de toilette à l’eau chaude un jour de temps pourri.
À côté de ça j’ai des panneaux solaires photovoltaïques qui :
– peuvent me produire une moyenne de 4 kWh par jour alors qu’on n’en consomme qu’un seul,
– ne s’useraient pas plus si je les utilisais à leur pleine capacité.
Mais j’ai aussi des batteries qui :
– sont une réserve qu’il est sage de garder au cas où,
– s’usent prématurément quand on les utilise.
Donc l’idée est d’utiliser le courant supplémentaire que les panneaux PV peuvent produire sans ponctionner les batteries. Ce « courant de surplus » peut avoir de multiples usages, mais tiens, pourquoi pas s’en servir pour chauffer une réserve d’eau qui resterait chaude quelques jours en attendant que sa majesté Soleil ne revienne ?
Un cumulus qui capte cette électricité de surplus ça existe pour les connectés au réseau, avec un appareil qui s’appelle routeur PV, qui s’achète et que les « makers » savent faire. Sauf que cet appareil a besoin d’être connecté parce qu’il analyse le courant qui rentre et qui sort sur le réseau.
Pour les hors réseau, c’est le désert dans le commerce et même, qui l’eût cru, un désert à défricher. Parce qu’il faut trouver à la fois le principe de fonctionnement et les moyens de le mettre en application.
Et avec le recul c’est simplissime, sur le principe du moins. Il suffit de suivre un baromètre, qui est la tension des batteries. Pour mon installation 24 Volts, les batteries pleines et sans faire entrer ni sortir de courant, la tension est de 25,8 Volts. Donc au dessus de cette tension il y a des watts qui chargent et par conséquent il y a suffisamment de soleil, au dessous c’est qu’on ponctionne des watts, donc soit il n’y a pas de soleil soit on « tire » plus que ce que les panneaux ne donnent. Plus le soleil injecte et plus le baromètre monte, plus on tire du courant plus il baisse.
Bon, maintenant on fait comment concrètement ?
Pour stocker de la chaleur dans de l’eau, il faut soit un grand volume d’eau à la température réglementaire (et sécuritaire) de 55°, soit un plus petit volume à une température supérieure.
Comme pour garder les degrés il me faudra mettre beaucoup d’isolant qui va tenir de la place, je choisis l’option « petit volume très chaud », pour ne pas occuper toute une pièce avec mon cumulus. Cela tout en pressentant que l’eau très chaude pouvait avoir d’autres usages et que je ne ferai pas couler cette eau dans un robinet, ce qui amènerait le danger de l’eau brûlante là où on ne l’attend pas.
Et puis ça tombe bien, j’ai aussi un bidon d’aspirateur à eau professionnel en inox de 40 litres sous la main.
Après lui avoir bouché les trous, il est enveloppé d’une première couche d’isolant, une veille mousse PU de 6cm d’épaisseur.
Le souci est qu’un cylindre dans une boite laisse des « cheminées » sur les côtés, ce sera comblé à la mousse PU en bombe, à défaut de mieux. On verra que je n’ai pas été comblé par cette solution. Bien fait, ça m’apprendra à utiliser ces vilains produits.
Deuxième couche, du polystyrène de 10 cm d’épaisseur. Le petit bidon commence à prendre du volume.
Et la touche finale, le couvercle.
Ce n’est que la fin de la boite, reste à mettre de quoi chauffer l’eau.
Il faut trouver comment intégrer des résistances à un bidon qui n’est pas prévu pour. Le mieux semble être de les plonger dedans depuis la surface. Il existe des « thermoplongeurs » de camping très économiques, qui ne sont pas étanches pour être immergés totalement.
Il faut donc encore une fois adapter, et ce sera fait avec des tubes autour de chaque fil.
Les résistances étant en place, on arrive à l’étape où c’est au tour de Gilles de s’exprimer.
La mission est de suivre la tension des batteries et d’allumer « un certain nombre » de résistances en fonction des watts disponibles. Comme je souhaitais laisser la priorité à la recharge des batteries, il a été prévu aussi de suivre l’état d’avancement de cette charge en regardant les LED sur la façade du régulateur solaire, et pour ne pas transformer le tout en bouilloire, un thermomètre veille au grain.
Tension, état de charge, température… pour gérer tout ça, un Arduino (une puce programmable) fera l’affaire, à condition de savoir le brancher et de savoir lui expliquer ce que l’on veut de lui.
Cet appareil rendu obéissant, il a la charge d’actionner des relais, raccourci pour « interrupteurs commandés à distance et capables d’encaisser beaucoup de courant » ce qui tombe bien parce que les résistances passent beaucoup de courant. Avec 4 résistances faisant chacune 120 Watts sous 24 Volts, on peut moduler la charge grâce à différentes combinaisons série/parallèle (par l’intermédiaire des relais), variations par pas de 60 W, jusqu’à 480 W, le tout avec seulement 4 relais, grâce à une superbe astuce de connexion made in Gilles.
Le premier proto, qui a servi à valider la domestication de l’Arduino nano, en haut . La boite bleue en bas, c’est le relais.
Et le deuxième, quand tout a été validé. Il a l’air de sortir du magasin, avec ses inscriptions toutes propres. C’est parce que la platine a été fabriquée sur mesure : quand Gilles fait quelque chose, il fait pas semblant.
Voici l’ensemble en place, près des appareils de gestion de l’électricité solaire.
Et un zoom sur le « cerveau » de l’histoire. En 1, la platine de l’Arduino qui commande tout, en 2 l’afficheur qui satisfait notre curiosité avec nos infos favorites : tension des batteries, état du système, température. Le tout est sur un support fait sur mesure à l’impression 3D, accolé au régulateur de charge (la boite bleue) pour pouvoir lire les LED qui donnent l’état de la charge (3 ) grâce à des cellules photosensibles. En fonction de tout ça, l’Arduino commande la platine de relais (4) et le courant qui vient des panneaux solaires (5) peut aller dans les résistances de chauffe (6).
Quand la tension monte, il branche de plus en plus de résistances, si elle baisse, il coupe tout progressivement ou instantanément s’il le faut. Ainsi le cumulus ne ponctionne jamais les batteries, il s’efface si le soleil baisse ou si on tire du courant.
Compliqué ? Oui. Sauf qu’une telle électronique, aujourd’hui vous en avez partout, dans votre cafetière, votre grille pain… Bref, peu d’objets de votre quotidien y réchappent. Et tout ça pourrait être intégré dans la boite bleue du régulateur de charge, qui lui aussi contient son quota d’électronique. Et là vous ne vous rendriez même pas compte qu’elle est là.
Alors je lance un appel du pied aux constructeurs de régulateurs : et si vous pensiez à nous intégrer ce genre de gadget ? Si si, cela pourrait vous faire vendre…
Après quelques ajustements, tout cela fonctionne à merveille. Et les bonnes surprises s’enchaînent.
D’abord la consommation de l’ensemble est très raisonnable, 0,5 kWh par jour. Ce qui fait que la plupart des jours de nuages la température arrive à être maintenue, puisque les panneaux photovoltaïques produisent un peu par temps nuageux. En un hiver, je n’ai eu que 3 jours de suite sans apport solaire dans le cumulus, et la température mini était de 45°. Royal pour se laver. Mission accomplie donc, j’ai de l’eau suffisamment chaude pour me laver, si je veux, tous les jours de l’année. Bien sûr, la douche interminable à portée d’un tour de robinet n’est pas assurée. Mais au moins vous savez que quand la facture d’énergie sera devenue la douche froide, vous pourrez quand même disposer à tout moment d’un minimum d’eau chaude.
Ensuite, une réserve d’eau très chaude c’est diablement pratique. La température est limitée à 80°, ce qui est la température habituelle en journée. Au petit matin, c’est encore 70 à 72°. Des bouteilles inox immergées stockent une l’eau potable qui reste directement utilisable pour la boisson chaude de votre choix, à toute heure, comme au bon vieux temps des combustibles.
Au bain marie, les plats cuisinés se réchauffent sans brûler et sans surveillance.
Pour ces deux usages, l’appareil qui se destinait à du dépannage occasionnel est devenu un élément incontournable à l’usage quotidien.
En montant un peu la température, 85/90°, les aliments cuisent et il est simplissime de stériliser, toujours au bain marie. Attention toutefois, il devient délicat de s’approcher de la réserve à ces hautes températures et elles dégradent plus vite les matériaux du cumulus, donc pour cet usage je pense qu’il vaut mieux prévoir un autre appareil, plus petit, dédié au cuiseur et utilisé temporairement.
Ce qui nous fait la liaison avec les premières déboires.
Sous l’effet de cette chaleur humide permanente, la mousse expansive a eu la réaction de se rétracter (suivez les flèches) , ce qui a créé des cheminées par lesquelles la chaleur s’échappe. La mousse PU d’ancienne facture s’est au contraire expansée, la mousse PU plus récente du couvercle s’est quant à elle gorgée d’eau. Au final l’isolation était sérieusement dégradée et il a fallu corriger tout cela.
Pire, quelques thermoplongeurs se sont littéralement désagrégés, je pense qu’un défaut d’étanchéité a fait rentrer de l’eau dedans et qu’une réaction d’électrolyse a pu démarrer.
La solution est passée par le tiroir caisse, avec l’achat de résistances de nettement meilleure qualité en inox qui, pour le coup, n’ont pas eu besoin d’être bricolées. À ce jour, 6 mois après, elles n’ont pas bougé.
Autre préoccupation à avoir, la légionelle. Ce n’est à priori pas un souci dans une enceinte maintenue à 80° censée les exterminer toutes. On a fait les choses bien, dès que la température descend dans une plage dans laquelle elles peuvent se reproduire, un compteur se met en route en alertant d’un niveau de danger. Ici le chiffre 8 entre les deux triangles prévient qu’on a passé 8 heures en zone tiédasse, et qu’il faut éviter d’inhaler des gouttelettes d’eau. Ce chiffre descend quand la température remonte en zone chaude, et revient à zéro danger à partir de 62°. À l’usage, la descente en dessous des 50° est très rare et très brève, et peut être encore réduite.
Ce qui nous amène aux perspectives d’évolution de la machine.
La gestion du prélèvement de courant par les résistances peut être optimisée, ce qui permettrait d’avoir un complément de chaleur même par temps très nuageux. C’est un équilibre à trouver entre la part consacrée à la recharge des batteries et celle consacrée à chauffer l’eau. Pour ce qui me concerne, ayant spectaculairement réduit ma consommation de base en électricité, je peux consacrer la totalité du courant bonus à chauffer le réservoir sans crainte de panne de batteries.
La clé de l’efficacité d’un tel appareil et des économies d’énergie en général, c’est l’isolation. Il existe pourtant un moyen simple d’augmenter considérablement l’efficacité d’un isolant, c’est de le mettre sous vide. Le procédé est connu et reconnu avec les thermos. Des isolants sous vide ont été vendus à une époque, censés être 5 fois plus isolants à épaisseur égale. Pas une, pas deux, pas trois… la marge de progression annoncée mérite d’être essayée ! Impossible de s’en procurer aujourd’hui, j’imagine qu’ils ont été un échec commercial pour avoir été hors de prix pour un usage d’isolation d’habitation. Par contre, pour un tel usage, ils auraient tout leur sens. Il va donc falloir se les bricoler, encore et toujours.
Pour finir, l’appareil ne consommant « que » 0,5 kWh par jour (100 km à vélo tout de même) les 6 m² de mes quatre panneaux solaires pourraient encore donner 900 kWh « bonus » par an à exploiter sur ce principe. Pour du froid, de la cuisson, de l’hydrogène… ou pourquoi pas un peu plus d’eau chaude ?